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Jean-François Martel : comment combattre les oppressions par le théâtre !

dimanche 18 avril 2010

Extrait du 23 n°199 - printemps 2010

Jean-François Martel est directeur artistique du T’OP ! - Théâtre de l’Opprimé qu’il a fondé en 1984 dans la région Nord/Picardie. La découverte du théâtre-forum a bouleversé sa vie de pédagogue engagé. Aujourd’hui, il reste persuadé que cet outil permet une prise de conscience et l’implication des individus dans l’action concrète. Rencontre.

Comment le théâtre est-il entré dans ta vie de militant ?

J’ai eu la chance d’avoir 20 ans en 1968. Syndicaliste-étudiant alors, ce bouillonnement d’idées et d’actions me permet de découvrir une diversité de formes de militance, allant des luttes ouvrières... aux praticiens de la pédagogie Freinet ! Peu après, je décide de devenir instituteur car je voulais concilier choix professionnels et volonté d’être socialement et politiquement utile, en pratiquant une "Pégagogie Populaire".

Un jour, en pratiquant en classe le théâtre libre, mes élèves mettent en scène leur volonté de transformer leur rapport aux adultes... sans jamais parvenir à entamer l’autorité parentale. Je me demande alors pourquoi. Et c’est justement vers 1980 que je rencontre le Théâtre de l’Opprimé lors d’un stage, puis Augusto Boal lors d’un spectacle. C’est le choc : on peut donc, au théâtre, montrer la réalité, l’étudier, la comprendre, mais aussi agir pour la changer !

En quoi ce théâtre fait-il évoluer ton engagement ?

Cette rencontre est décisive. J’améliore mon action pédagogique et je monte avec d’autres un spectacle de théâtre-forum sur nos luttes, à nous, les pédagogues ! La pièce est jouée dans mon association, puis dans des congrès, des rencontres syndicales, devant des parents d’élèves. Tout cela dope mon désir d’engagement et de formation, d’autant plus que d’autres groupes avec des réalités sociales différentes nous demandent de mettre en scène des spectacles.

Je crée alors l’association EN VIE (qui deviendra T’OP !) à Beauvais où je réside à l’époque. Nous adhérons au Centre du Théâtre de l’Opprimé de Boal, nous nous formons, et nous voilà menant des stages et créant des spectacles avec des paysans, des syndicalistes, des travailleurs sociaux, des jeunes, des associatifs, des femmes, des handicapés mentaux, des militants politiques ! Investis dans de nombreux comités de soutien localement, nous avons maintenant avec nous la « méthode et le mouvement du théâtre de l’opprimé ». Je participe à l’équipe de Boal à Paris, viens animer un stage à Lille en 1989, où j’aide à la création d’un groupe de Théâtre de l’Opprimé. Je m’y installe en 2000.

C’est à ce moment que tu rencontres le réseau associatif régional ?

Oui, même si, à l’époque, tous ne sont pas convaincus de l’intérêt du travail culturel. Notre adhésion à la MRES en 2004 favorise les rencontres et les créations inter-associatives. C’est ainsi que nous participons à des évènements comme la Semaine de la Paix et travaillons avec les mouvements des Sans-Papiers, des chômeurs, des mal-logés... Nous organisons aussi avec d’autres troupes, les journées « Théatre(s) en Lutte(s) » où artistes et associatifs se rencontrent.

Nous ferais-tu partager tes espoirs ?

Mes actions avec le T’OP ! sont portées par un objectif essentiel : la culture au sens large, et le théâtre en particulier, ne doivent pas être séparés de l’action dans les luttes sociales. C’est un moyen de mieux se connaître pour mieux comprendre les autres, et de favoriser l’action pertinente et concrète dans la société. La bonne conscience ne suffit pas !

J’espère donc que les « activistes », (j’aime ce mot revenu de l’anglais, plus beau que "militant" finalement !) une fois rentrés de manif, n’accepteront plus de conforter le patriarcat à la maison ! Puisse le Théâtre de l’Opprimé contribuer à ce va et vient renforçant le lien entre individu et collectif, et alimentant la dialectique entre relations humaines et rapports sociaux.

Un mot de conclusion ?

Il faut être là où l’on ne nous attend pas. La convergence des réflexions, des luttes, des actions entre les artistes, les associatifs et les politiques ne se décrète pas. Elle passe par des relations humaines... Les échanges improbables, il faut les multiplier. Les gouttes d’eau isolées ne sont rien du tout. Elles ne deviennent des fleuves que si elles sont cumulatives !

Paroles recueillies par Hélène CHANSON


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